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- Publié le 22 avril 2020
Avis d’expert : COVID-19, et après… ?
Avis d’expert : COVID-19, et après… ?
La crise sanitaire que traversent les entreprises génère une situation inédite et suggère une reprise dont on ne connait pas les contours. Olivier Batut est expert-comptable, au contact des entreprises qu’il accompagne. Il livre son avis sur la question…
Est-ce que les chefs d’entreprises ont la capacité à appréhender de telles situations ?
Olivier Batut : Les petites entreprises sont souvent perdues. Les messages successifs qui appellent à se protéger tout en maintenant une activité économique ont été mal perçus : la règle n’était pas suffisamment claire. Si les grandes entreprises ont pu, grâce à leurs staffs, organiser un plan de continuité d’activité, les petites ont pris la vague de plein fouet.
Ensuite, la multiplicité des moyens déployés a fait une partie du travail, mais nous avons été abreuvés d’informations, d’avis d’experts, d’opinions et de quelques arrêts ministériels, parfois contradictoires. Tout cela est normal, ne jetons pas la pierre, mais la gestion du quotidien qui s’ensuit devient compliquée.
Les chefs d’entreprises ne sont pas préparés à cela. Ces dirigeants sont dans l’action, ils n’anticipent pas toujours suffisamment, et surtout pas ce type de situation. Qui pourrait le leur reprocher ? Leur point commun est d’être entrepreneur et indépendant, prenant au quotidien des risques qu’ils connaissent. Mais celui-là, nul ne pouvait l’envisager.
L’avenir sera fait de projets nouveaux ?
Olivier Batut : Certainement. La période est difficile et celle à venir le sera tout autant. Certains y sont entrés frontalement avec l’arrêt immédiat de leur activité commerciale, d’autre plus progressivement. Ce sont des jours, des semaines (voire des mois ?) sans chiffre d’affaires qui se profilent. Il est donc légitime de s’inquiéter, mais aussi et surtout, essentiel d’envisager les actions qui permettront de se redresser. En échafaudant de nouvelles voies commerciales ou industrielles, en inventant de nouveaux produits, en tissant de nouveaux liens avec d’autres entreprises…
Pour ceux qui ont eu la possibilité et qui ont fait le choix de continuer, il a fallut dépasser parfois le désarroi, la peur et même le droit de retrait des salariés. Les boulangers sont par exemple restés ouverts, mais avec la pression de leurs vendeuses qui venaient la peur au ventre. Aujourd’hui, les mesures ont été prises pour calmer les principales inquiétudes.
Rappelons que c’est la première fois que l’on voit une pandémie « en direct » avec une action des gouvernants sous l’effet de l’immédiateté. Le confinement s’est imposé en Europe progressivement, mais c’est la première fois que se retrouvent dans la même balance les enjeux sanitaires et les enjeux économiques.
Quels conseils donner aux chefs d’entreprises ?
Olivier Batut : Celui du ministre des finances : tout faire pour maintenir la situation du 13 mars. Maintenir l’outil de travail, remettre de la trésorerie si elle a fondu par l’effet de la crise.
Le Gouvernement a fait beaucoup, il ne peut guère plus. On prête aujourd’hui à des acteurs économiques à qui l’on n’aurait pas prêté un sou six mois plus tôt. D’autres entreprises, plus solides, ont déjà leur plan de reprise dans la tête. Paradoxalement, elles ont choisi d’emprunter le moins possible, bien que l’argent ne soit pas cher aujourd’hui.
L’idée est de donner le plus de chances possibles à un maximum de gens. Souvenons-nous de la ligne de conduite de l’Allemagne lors de la crise de 2008, avec un chômage technique massif qui avait permis de maintenir les gens dans leur poste pour qu’ils soient opérationnels dès la reprise. A l’inverse du système américain qui s’est replié et a licencié à tour de bras et qui a mis plus de temps pour repartir.
Qu’est-ce qui s’avère le plus efficace ?
Olivier Batut : En Europe, tout le système social et le prélèvement des cotisations sont basés sur le travail. En perdant des travailleurs on perd des milliards de cotisations. Il faut donc absolument maintenir en place nos salariés. Et pourtant, la crise sanitaire marque un arrêt brutal de la consommation : notamment dans le tourisme, la restauration, le cinéma, le commerce vestimentaire… L’indispensable est maintenu : les soins, l’alimentation, l’énergie, les services publics (sécurité, éducation, collecte des déchets)…
L’enjeu est de savoir quand et en combien de temps nous serons déconfinés ? A quelle vitesse retrouverons-nous une consommation normale ? Le retour spontané n’est pas pour demain, il nous faudra donc être patient.
Être patient, ça veut dire quoi ?
Olivier Batut : C’est commencer par utiliser au mieux les outils du Gouvernement, notamment réduire la masse salariale avec le chômage partiel, saisir les quelques aides temporaires : 1500€ pour les frais généraux, puis avoir recours si besoin au prêts garantis par l’état. Emprunter pour pouvoir être présent et travailler demain. A n’en pas douter, les banques joueront le jeu avec le PGE, y compris pour des agents économiques qui avaient déjà un niveau de trésorerie limité avant la crise. La difficulté est de calibrer le besoin, avec des inconnues : la fin du confinement et la reprise d’activité.
Empruntez pour reconstituer du fonds de roulement, c’est du jamais vu ?
Olivier Batut : Oui, il s’agit de remplacer un, deux ou trois mois de chiffre d’affaires. Il faut résonner comme pour un nouvel investissement et accepter d’emprunter, juste pour rester présent demain. La seule vraie question est : si je ne le fais pas, quelle sera l’ampleur des dégâts ? Je perds mon actif professionnel. Il s’agit d’emprunter pour sauvegarder l’outil de travail. Le café du centre du village a une certaine valeur, c’est ça qui compte.
Vous trouvez malgré tout un aspect positif à tout cela…
Olivier Batut : Oui, c’est que l’arrêt brutal du 13 mars oblige à une introspection. On réfléchit, quel que soit son âge : de quoi ai-je besoin pour vivre ? L’inconnu de demain, c’est comment notre société de consommation va-t-elle repartir ? Consommera-t-on de la même manière ?
Dans les villages, des petits commerces alimentaires ont retrouvé une certaine vitalité ; pourvu que ça dure et que les circuits courts et l’environnement en tirent profit !
Le législateur devra sans doute agir pour piloter la consommation. Probablement faudra-t-il avoir une TVA plus chère sur les produits importés. L’Europe dit non, mais elle s’aperçoit aussi qu’elle a laissé partir une part de la production manufacturée, confère les masques et les blouses. Peut-être faudra-t-il aussi accepter de payer un peu plus cher les produits locaux.
Il faudra demain que le Gouvernement nous aide à regagner une indépendance, et donc à limiter la mondialisation ; à faire en sorte que notre économie ait une coloration écologique plus forte, plus « made in France », et de proximité.